Les jésuites en Chine de 1552 à nos jours

Olivier Lardinois, Directeur de l’Institut Ricci de Taipei :

 Le 3 décembre 1552, saint François Xavier, compagnon de saint Ignace de Loyola et apôtre jésuite de l’Inde méridionale, de la Malaisie, des îles Moluques et du Japon, meurt sur l’île de Sancian (aujourd’hui Shangchuan) au large des côtes de la prospère province chinoise du Guangdong. Son vieux rêve d’entrer en Chine pour y apporter l’Évangile semble avoir échoué. Cet apparent échec est en réalité le début d’une grande aventure : plus de 450 années de présence jésuite en Chine.

 Entre 1552 et 1800, quelques 900 jésuites, Espagnols, Portugais, Italiens, Français, Belges, Allemands, Autrichiens, Tchèques et Hongrois, partirent pour la Chine dans le sillage ouvert par saint François Xavier. Plusieurs d’entre eux travaillèrent même à la cour des empereurs Ming et Qing comme astronomes, mathématiciens, diplomates, cartographes, peintres, musiciens ou médecins. Parmi ceux-ci, l’histoire retient encore quelques noms célèbres : Matteo Ricci, Nicolas Trigault, Adam Schall, Antoine  Thomas,  Tomé  Peirera,  Martino   Martini,   Ferdinand   Verbiest,   Jean-François Gerbillon, Joseph de Mailla, Giuseppe Castiglione et Louis Amiot.

 La Compagnie de Jésus joua alors un rôle majeur dans la rencontre entre l’Occident chrétien héritier de la culture gréco-romaine et l’Extrême-Orient asiatique détenteurs de trois traditions également prestigieuses : le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. De cette première mission jésuite, la Chine a gardé quelques solides communautés chrétiennes en milieu rural, principalement dans les provinces du Hebei et du Jiangnan, ainsi qu’en milieu urbain à Pékin, Shanghai et Hangzhou.

 Ce fut aussi l’époque de la fameuse « querelle des rites » qui opposa la majorité des missionnaires jésuites, franciscains et augustiniens, aux dominicains et pères des Missions Étrangères de Paris (MEP). En 1656, les jésuites avaient obtenu du pape Alexandre VII la permission pour les chrétiens chinois d’honorer rituellement leur empereur, Confucius et ses disciples, ainsi que les tablettes des ancêtres familiaux. Suite à cette reconnaissance par le pontife romain du caractère non religieux des « rites chinois », l’empereur Kangxi (1662-1723) avait lui-même émit en 1692 un édit de tolérance autorisant la religion chrétienne à se répandre dans son empire. Mais les dominicains, la plupart des pères MEP missionnant en Chine, et quelques jésuites dissidents, n’entendaient pas les choses ainsi. En 1704, les opposants réussirent à convaincre le pape Clément XII que les « rites chinois » étaient contraire à la foi chrétienne, et celui-ci annula la permission rituelle déjà accordée aux chrétiens autochtones. Suite à cette condamnation papale des rites, l’empereur Kangxi fit volte-face et abrogea l’édit de tolérance de 1692. Une grande partie des missionnaires étrangers furent progressivement expulsés de Chine, à l’exception notable de nombreux jésuites qui continuèrent à travailler au service des empereurs à la cour de Pékin jusqu’à fin du XVIIIe siècle. Cet épisode tragique mit fin à l’expansion du christianisme en terre chinoise pendant plus d’un siècle.

 La seconde grande période de la mission des jésuites en Chine se situe entre 1842 et 1955 : 1842 quand trois premiers jésuites arrivèrent en Chine après la restauration de la Compagnie de Jésus, qui avait été abrogée par la curie romaine en 1773 ; et 1955 quand la plupart des jésuites autochtones furent envoyés en prison ou en camp de rééducation, alors que presque tous les jésuites étrangers avaient déjà été expulsés de Chine par le nouveau gouvernement communiste.

 Durant cette période plus de 1500 jésuites missionnèrent en Chine, parmi lesquels 20 % de Chinois et 36 % de Français. Les différentes activités apostoliques des jésuites incluaient l’évangélisation directe dans des paroisses urbaines ou rurales, des instituts d’enseignements primaires, secondaires et universitaires (l’université Aurore à Shanghai et l’école d’ingénieur et de commerce de Tianjin), des œuvres sociales (orphelinats, dispensaires médicaux, accueils des réfugiés de guerre ou de famine), de la recherche académique (notamment en paléontologie par les pères Pierre Teilhard de Chardin et Émile Lincent), une faculté de philosophie-théologie, une maison d’édition, un observatoire météorologique et des centres de retraite où l’on pratiquait la spiritualité ignatienne. La plupart de ces institutions apostoliques se situaient dans les deux territoires missionnaires chinois confiés par la curie romaine à la Compagnie de Jésus : la province du Jiangnan (les provinces actuelles du Anhui et du Jiangsu, et la ville de Shanghai) et le sud-est de la province du Hebei. Mais il y avait aussi quelques œuvres jésuites à Canton, Hong-Kong et Macao. Entre 1842 et 1949, une trentaine de jésuites sont morts en Chine en martyrs de la foi. Quatre d’entre eux, victimes de la révolte des Boxers en 1900, ont été canonisés.

 Après l’établissement de la République populaire de Chine en 1949, une quarantaine de jésuites chinois ont perdu la vie en prison ou en camp de rééducation. D’autres ont passé plus de trois décennies en prison avant de retrouver la liberté. Aujourd’hui la province jésuite chinoise compte 156 membres résidant à Taïwan (paroisses en milieu chinois ou aborigènes, cinq communautés, une faculté de théologie, un centre spirituel et deux collèges), à Hong-Kong (une communauté, un centre spirituel et deux collèges) et à Macao (une communauté et deux collèges) et en Chine continentale. Aucune des sept communautés ne se situe en territoire communiste, mais plusieurs compagnons y travaillent soit à plein temps soit par intermittence. Un peu plus de la moitié des jésuites de la province chinoise ne sont pas natifs de la Chine, ni de Taïwan. Dans le milieu de la sinologie française, les pères Yves Raguin (1912-1998) et Claude Larre (1919-2001) sont bien connus pour avoir dirigé la publication dans les années 1970-1990 du volume bleu clair et des sept gros volumes verts, des petit et grand dictionnaires Ricci de la langue chinoise.

Olivier Lardinois, sj, Directeur de l’Institut Ricci de Taipei

Pour en savoir plus : 

  • Vermander, Benoît, sj, Les Jésuites et la Chine : de Matteo Ricci à nos jours, Namur-Paris : Lessius, 2012 ;
  • Dehergne, Joseph, sj, Répertoire des Jésuites de Chine de 1552 à 1800, Rome : Insitutum Historicum Societatis Jesus, 1973 ;
  • Lardinois, Olivier, sj et al., Directory of the Jesuits in China from 1842 to 1955, Taipei : Taipei Ricci Institute, 2018.

[Source : Diocèse de Gap et d'Embrun]


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Date de création : 23/06/2020 17:30
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